Les extraits du livre :
La Longue-vue
1862, Gourdon, dans le Lot.
L'officine se tenait à l'angle de la rue de l'Iffernet et de la rue Montante, dans ce qu'on appelait déjà à l'époque le vieux Gourdon. Sur la vitrine, on lisait :
La Longue-Vue
Enquêtes
Discrétion et Résultats assurés
Une longue-vue, peinte à même le verre, complétait naturellement cette enseigne on ne peut plus explicite. Une plaque en cuivre sur la porte précisait :
Louis-Gustave De PAYRAC
Directeur
L'intérieur n'était constitué que d'une seule pièce. Le plafond était en bois noirci par la fumée d'un mauvais poêle. Les murs étaient en pierres brutes, pour le peu qu'on pouvait encore en apercevoir : la pièce était tapissée de rayonnage de livres. Souvent, les jours de marché, un petit bouquiniste élisait domicile sur le pas de leur porte, et il n'était pas rare que des badauds poussent alors la porte de l'officine en croyant pénétrer dans une librairie.
Louis-Gustave, Directeur, avait bien songé à faire expulser l'intrus, mais il craignait que son emplacement ne soit bien vite occupé par un autre marchand ambulant, à l'activité moins noble que celle du vendeur de livres. Il ne souhaitait pas baigner à longueur de journée dans une odeur de poisson de moins en moins frais, par exemple.
La Longue-Vue ne s'était installée là que depuis un petit mois. Depuis la mort du père, Jean-François. Miraculeusement, ses huit enfants avaient découvert un petit magot, qui, même après le partage, avait permis à Louis-Gustave de s'installer. C'est lui qui s'était occupé du partage.
En cette année 1862, Louis-Gustave avait vingt-cinq ans. Ce qu'il avait fait avant de faire peindre son nom sur cette devanture mérite incontestablement d'être raconté, mais cela sera fait plus tard. Chaque chose en son temps. La Longue-Vue avait aussi un employé, Jean-Jules De Payrac, le plus jeune frère de Louis-Gustave, le benjamin de toute la famille. Il n'avait que 16 ans et vouait à son aîné une vénération sans borne. La répartition des rôles entre les deux frères était simple : Louis-Gustave pensait et décidait, et Jean-Jules exécutait les basses besognes de la profession : filatures, recherche des renseignements.